• En cette fin d'année, je publie ce billet écrit à chaud après les attentats de Charlie Hebdo. Au regard de ce qui s'est passé les douze mois suivants, je suis profondément attristée de découvrir que mon sentiment de l'époque est resté le même.

     

    "Aux armes citoyens, formez vos bataillons"

     

    Cet appel au patriotisme qui constitue le cœur de notre hymne national prend aujourd'hui tout son sens. Aujourd'hui, 8 janvier 2015. Plus de vingt-quatre heures se sont écoulés au moment où j'écris ces lignes depuis l'attentat contre Charlie Hebdo qui a coûté la vie à douze êtres humains et nous a coûté une fois de plus notre insouciance en ce début d'année. La légèreté qui est de mise après les fêtes de Noël et le Nouvel An s'est évanouie bien plus vite qu'à l'accoutumée.

     

    2015 sera donc l'année où nous devrons prendre les armes et formez nos bataillons. Mais quelles armes ? Et quels bataillons ?  Les armes de la tolérance et les bataillons de l'intelligence. La haine gangrène. La haine de l'autre d'où qu'il vienne. On le sentait, on le savait. Pas seulement en France mais aussi au sein de l'Europe occidentale tout entière et d'autres régions du monde plus éloignées, les extrémismes de tout bord ont les chevilles qui enflent. Et ça ne les empêche pas de marcher, voire de courir.

    En France la haine c'est celle envers l'immigré, le musulman, le "riche patron", le bobo, le gaucho, le prolétaire, le beauf, le petit branleur des cités, le beur, le noir, le catho et j'en passe. C'est une haine à la fois latente, à la fois ouverte. C'est une haine à la fois insidieuse, à la fois éclatante. C'est la haine envers nous-même finalement, la haine envers le cœur de notre démocratie: l'Homme avec un grand H. L'Homme dans toute sa diversité d'opinions, de pensée et d'existence. Une démocratie pour laquelle tant d'hommes se sont battus et sont tombés il y a des siècles, il y a  soixante-dix ans. Encore de nos jours, on l'a constaté hier.

     

    En tant que jeune citoyenne française, j'ai grandi dans un pays qui est façonné au quotidien par  la liberté d'expression. Confèrent les débats d'opinions enflammés au sein des familles, des entreprises, des groupes d'amis, des associations, des partis politiques. Bref, au sein de tous les groupes quels qu'ils soient : privés ou publics, intimes ou professionnels, militants ou non. En France, la parole est libre. Personnellement,  je n'ai pas adhéré à tous les travaux qu'ont pu produire les défunts dessinateurs de Charlie Hebdo. Certains papiers étaient gonflés, provocateurs voire pour certains carrément irrespectueux seulement l'indignation suscitée, le débat suscité et le procès qui a suivi sont la preuve même de la bonne santé de notre démocratie.

    Que toutes les idées soient exprimées, les bonnes ou les mauvaises, elles en seront d'autant mieux acclamées ou méprisées. Avertis de leur existence,  on pourra les combattre ou les soutenir.

    Certains journaux n'hésitent même pas à titrer en Une, une photo de la ministre de la Justice accolée à celle d'un primate. La morale a été bafouée mais l'idée exprimée. Permettre à un journal d’extrême droite d’exprimer sa pensée a permis de  mesurer encore une fois l'ampleur de la xénophobie en France.

    Ceux ne sont pas les caricatures de Charlie Hebdo qui ont attisés les haines grandissantes à la fois envers la communauté musulmane et  la société française. Ceux ne sont pas les caricatures de Charlie Hebdo qui ont conduit de jeunes français à s'engager pour une cause perdue d'avance mais pour laquelle ils sont prêts à tuer ou à être tués. Ceux ne sont pas les caricatures de Charlie Hebdo qui ont créés ces clivages, ces fossés, et je dirais même plus aujourd'hui, ces gouffres qui se creusent entre les différentes composantes sociales, économiques, culturelles, politiques et religieuses de notre société. C'est notre société, vectrice de haine, qui a tué Charlie Hebdo. C'est notre société, cracheuse de haine, qui a tué l'avenir d'une partie de la jeunesse française.  De jeunes français devenus machines à tuer et qui n'ont plus que cette haine en guise de cœur. C'est notre société, productrice de haine, qui, enfin, se tuera elle-même sur l'échafaud des regrets et des remords.

     

    L'égalité des chances n'existe presque plus, la conjoncture économique qui ne s'améliore pas est le terreau des frustrations les plus dangereuses, nos hommes politiques bien impuissants et retranchés dans leur cage dorée suscitent un ressentiment dont ils ne doivent pas prendre encore la mesure. La justice sociale ne peut plus être financée. Hier, une kalachnikov a abattu douze personnes. Une arme de guerre. Dans un pays en paix. Voilà notre société. Une société dans laquelle les espoirs ne brillent plus, dans laquelle les préjugés font loi et dans laquelle chaque atome risque d'imploser à tout moment.

    Oui ce 8 janvier 2015, c'est un profond sentiment pessimiste et scatologique  qui m'anime.

    Je ne pense pas que les journalistes de Charlie Hebdo auraient souhaité que l'on fasse d'eux des héros comme ils vont le devenir dans les prochaines années. C'étaient tout simplement des citoyens français, des êtres humains,  qui avaient le don de l'humour. Un humour particulier. Cela a été trop dit et répété. Ils jetaient de l'huile sur le feu parfois peut être mais une huile de papier sur un feu qu'ils n'avaient pas allumés.

     

     

    Je voudrais crier STOP

    Je voudrais crier STOP à ce déferlement de haine qui va s'abattre dans les prochains jours

    Je voudrais crier STOP à toute la classe politique qui manie aussi bien la langue de bois qu'un joueur de pipeau manie l'instrument.

    Je voudrais crier STOP à tous ceux qui croient avoir raison en toutes circonstances et quelles que soient leurs opinions. Même la bien-pensance est dangereuse. L'humilité est notre seul rempart face à l'intolérance.

    Je voudrais crier STOP à ce monstre qui sommeille en chacun de nous: la lâcheté. La lâcheté dans sa forme la plus abominable s'est manifestée hier dans l'exécution d'un brigadier désarmé et blessé à terre. Mais la lâcheté c'est aussi la nôtre. Celle du citoyen français qui au quotidien n'accorde aucune vigilance à l'Autre. A cet autre qui ne partage pas ses convictions mais comme lui contribue à faire perdurer une nation, berceau de millions de personnes.

     

    La lâcheté envers l’Autre est omniprésente : Cet Autre qui dort dans la rue sur lequel on lorgne  sans s'arrêter. Cet Autre aux idées peut être contestables mais que l'on ne contredira pas par peur du débat, pourtant vital à notre démocratie.  Cet Autre plus pauvre que nous et mais pour qui l'on ne peut rien. Cet Autre qui n'est pas né et pour qui les efforts d'aujourd'hui, que l'on ne fournira pas, sont vains car leurs effets par définition pas quantifiables. Cet Autre est partout. Cet alter ego. Nous sommes tous alter ego de tout le monde car nous sommes humains. Si nous commençons à nier cette réalité, nous nions notre humanité.

    Je voudrais crier STOP à tous ceux qui nient la valeur de l'existence humaine, si insignifiante puisse telle paraître parfois.

    Au fond, cette tragédie nous touche tous car au-delà des symboles ceux sont des êtres humains qui sont morts hier. Ils ne reviendront pas. C'est fini.  Tous les jours des familles perdent des êtres chers dans toutes sortes de contexte, ne l'oublions pas. Cependant, la douleur est si particulière et collective aujourd'hui car ces personnes décédées faisaient indirectement parties du quotidien de tant de gens.

    L'hommage le plus censé que l'on puisse leur rendre et rendre à tous ceux morts sous les coups de la haine humaine est de s'armer une bonne fois pour toute avant qu'il ne soit trop tard. Encore. S'armer de tolérance, de respect, de compréhension et surtout d'humilité. S’armer contre nous-mêmes aussi. Contre nos propres démons  qui deviennent parfois les démons de toute une société. Formons nos bataillons d'intelligence: les humanistes de demain.

     

     

    Ambre


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  • "L'Etat m'offrait d'emblée ma place dans le monde"

    Annie Ernaux


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  • "L'athéisme dresse contre Dieu un procès-verbal de carence."

    Victor Hugo 


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  • Source d'inspiration inépuisable, le monde humain, à mes yeux, vaut qu'on lui consacre quelques minutes de notre précieux temps pour réfléchir sur son évolution et si celle-ci doit être acceptée ou remise en cause. C'est pour cela que les sujets de mon blog s'étaleront de la critique d''une oeuvre artistique (film, livre etc...) à des analyses de l'actualité...

    Cependant, ce blog n'a pas la prétention d'être un exposé de billets érudits. Je préviens donc  à l'avance de l'éventuelle maladresse ou naïveté de certains de mes propos... 

    En tant qu'humble observatrice de notre société, je partagerais donc avec vous "l'écho de mes rêves" ou plutôt l'écho que me renvoie le monde quand je prends le temps de l'écouter...ou de l'observer.

     


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